À Ban Lung, dans la province du Ratanakirir, nous retrouvons Julie, une copine de mon amie Elsa qui voyage pendant un mois dans le pays. Nous décidons de partir en trek ensemble, optant pour l'option 3 jours-2 nuits proposée par notre guesthouse.


Nous partons le lendemain matin déjà, et la soirée est occupée aux préparatifs de sacs et la prise de conseils pour la suite du voyage auprès de Xuân-Mai, la copine de Moritz, qui a vécu 5 ans comme expat' à Phnom Penh. 


La première journée commence par une heure de tuk-tuk conduit par notre guide pour rejoindre la rivière San. On nous invite à porter les fameux masques bleus afin d'éviter d'avaler trop de poussière de la piste. À la rivière, une barque nous attend pour nous emmener à l'orée de la jungle de Virachey. Le trajet dure trois bons quarts d'heure et la barque est alourdie par notre poids et celui du matériel : nous avons le temps d'être copieusement aspergés tout en admirant les berges couvertes de forêt et de plantations d'arbres à noix de cajou. 


À l'arrivée, nous dînons en compagnie du boat driver, dans la cour de sa maison, et du ranger (Meng) qui nous accompagnera en plus du guide (Sad) pour les prochains jours. Après une répartition du matériel dans les sacs, nous partons pour deux bonnes heures de marche qui nous amènent à notre premier lieu de camp, à proximité d'une jolie cascade. C'est un campement aménagé où l'on peut tendre nos hamacs militaires sous une construction de bois au toit de tôle. Meng et Sad préparent un délicieux souper pendant que nous nous rafraîchissons à la cascade : une salade d'herbes et porc bouilli pimentée en entrée, du riz en quantité et une soupe de légumes cuite à l'étouffée dans un bambou. Tout ça est copieusement arrosé d'alcool de riz local et les difficultés linguistiques deviennent petit à petit autant de sujets d'hilarité ! 


La nuit est belle et les étoiles et la lune lumineuses, ce qui compense (un peu) l'inconfort dû au froid et à l'humidité qui s'immiscent dans nos sacs à viande. On se réchauffe au matin avec un de ces cafés instantanés 3-en-1 (sucre et lait en poudre intégrés, mais je vous assure que ça a été apprécié comme le plus fin des nectars) servis dans des tasses taillées dans du bambou. Des pains baguettes réchauffés au-dessus des cendres accompagnent des oeufs de canard frits - de quoi nous donner plein d'énergie pour notre deuxième journée de marche ! 


Avant de lever le camp, nous avons une discussion intéressante avec le guide qui nous explique sa vision de l'après-guerre et du gouvernement actuel du Cambodge; il est très critique et ne mâche pas ses mots, mais nous admirons la précision de sa rhétorique et sa connaissance des différents aspects économiques, sociaux et politiques de son pays. 


Le chemin monte raide mais nous offre un aperçu de la jungle une fois arrivés en hauteur. Le long des sentiers, Sad nous indique telle plante, tel arbre, tel morceau d'écorce, dont les gens se servent pour soigner maux d'estomac, de tête, ou simplement pour donner du goût à une infusion. La pause de midi se fait en bas d'une cascade, au bord d'une petite piscine naturelle qui semble pailletée de lumière grâce à l'effet du soleil à travers les feuillages. On profite longuement de l'endroit et c'est un peu dur de repartir ! À un moment, nous décidons de ne pas marcher jusqu'au village, trop lointain, mais d'accepter la proposition de Sad d'aller dormir à la belle étoile sur une île au milieu de la rivière, où notre ami le boat driver peut nous emmener.


En fait d'île, c'est un simple banc de sable un peu plus haut que le reste du lit de la rivière, mais l'impression de jouer à Robinson Crusoé est là ! On se baigne un moment en se laissant doucement porter par le courant. Meng allume un feu avec le bois ramassé avant de traverser et repart avec le bateau pour aller chercher l'alcool de riz (une soirée sans semble hors de question !) et revient avec une jarre en terre cuite remplie de riz fermenté, dans lequel il verse une bouteille d'eau. Il y plante ensuite une paille découpée dans une fine branche de bambou et nous invite à y goûter. On retrouve le goût du rice wine du Delta du Mékong que nous avions dégusté au Vietnam, plus doucereux et moins fort que celui de la veille. Ensuite, il repart avec le boat driver pour pêcher, ayant longuement débattu auparavant de l'efficacité d'une bête canne à pêche classique proposée par le boat driver face à son long pic de bois soigneusement taillé: décidément, il nous impressionne, il sait tout faire ! Je suis fatiguée de la journée (et de la petite nuit d'avant) et vais me coucher rapidement tandis que Thibault et Julie restent encore un moment auprès du feu avec nos trois compagnons. Thibault me décrit cette soirée ainsi: "C'est un de ces moments où il ne se passe rien mais où la singularité de la situation vient combler l'instant, comme si le vide appelait le plein." Et moi, je dis: "Nicolas Bouvier peut aller se rhabiller !".


Le lendemain, Julie et moi faisons un peu de yoga matinal face au soleil levant et profitons d'une dernière baignade avant d'empaqueter nos affaires pour rejoindre le village. On y visite l'ancienne école, laissée à l'abandon depuis qu'une nouvelle a été construite un peu plus loin. Sad est très critique de ces minorités pauvres trop paresseuses pour récupérer les chaises et tables encore en bon état pour en faire quelque chose, préférant selon lui attendre les fonds des ONG et autres aides, qu'ils ne font ensuite pas fructifier par manque d'entretien et d'attention aux différents projets. Nous essayons de nuancer, de lui poser des questions, mais il reste sur sa position. Nous visitons ensuite le cimetière du village, où nous observons deux types de structures, l'une temporaire, que la famille visite chaque mois, leur croyance étant que l'esprit du défunt est encore là, jusqu'à avoir suffisamment d'argent de côté pour construire la structure permanente et organiser une grande célébration d'adieu avec la famille au grand complet, les voisins etc. À partir de ce moment là, la famille ne vient plus, car l'esprit est parti. Après nous avoir donné ces informations, Sad insiste pour que nous restions assister à la visite mensuelle d'une famille. Incertains et un peu embarrassés, nous attendons un moment près de la clairière où les membres de la famille se rassemblent, avant de finalement les laisser pour aller rejoindre Meng et sa famille, qui vivent au village pour un dernier lunch ensemble avant le retour en ville. 


Le retour se fait sans encombres et nous nous délassons avec plaisir à la guesthouse avec une bière fraîche suivie d'une bonne douche. Nous passons une dernière soirée en compagnie de Julie autour d'une partie de jass et d'une soupe de courge réconfortante avant d'aller dormir du sommeil du juste. Nous partons le lendemain pour Kratie alors qu'elle reste un jour de plus à Banlung avant de continuer sa route vers le nord du pays.